S’il existe un moyen d’atteindre le Mieux, il demande de regarder le Pire en face.

Thomas HARDY

La saison deux de la série Bref est sortie le 14 février dernier, battant des records de lancement pour une série française. Au cours d’un épisode, l’écriture et la mise en scène créative de Kyan Khojandi et Navo permettent de mettre le doigt sur un ressort essentiel de la rencontre amoureuse : l’illusion.

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Frantogian, CC BY-SA 3.0 – Wikimedia Commons

La rencontre amoureuse dans Bref, saison 2

Le protagoniste principal de la série commence la saison en se faisant jeter par sa compagne. C’est le démarrage d’une crise de la quarantaine assez classique, dont nous allons suivre les étapes dans un déroulement convenu qui ne ne révolutionnera pas le concept de la comédie romantique. Cependant, comme toujours avec Khojandi et sa bande, on trouve quelques perles qui ne nous font pas regretter le visionnage. Il y a bien sûr cette réplique autour du personnage du voisin, interprété par Jean-Paul Rouve, qui avait besoin de s’asseoir 30 secondes et qui s’est assis vingt ans. Et puis, il y a cette scène surréaliste où le héros se remet sur les applications de rencontre et décrit la façon dont se passent les premiers dates.

Dans ces rencontres, décrites comme des examens de passage, chacun fait autant croire à l’autre qu’à lui-même qu’il représente la perfection, le mec/la fille idéal(e). Lui aime l’opéra, elle le football, bref, chacun ment pour correspondre à ce que l’autre attend. Et à mesure que chacun fournit une bonne réponse, son visage se couvre de tatouages qui symbolisent la qualité attendue, la compétence maîtrisée. L’autre peut ainsi admirer chez lui le reflet de ses propres désirs et de ses propres illusions.

Cela nous ramène à une vision très narcissique − mais pas irréaliste pour autant − de l’état amoureux, dans lequel c’est finalement mon propre reflet dans les yeux de l’autre que j’admire, et non l’autre lui-même.

Mais bien sûr, le temps passe et les illusions tombent. Elle lui propose une soirée à l’opéra, mais lui préférerait regarder un film sur Netflix, paf! C’est un tatouage qui se détache de son visage. Elle vient lui intimer de baisser le son du match de foot qu’il est en train de regarder, boum, un autre tatouage disparaît. Un beau matin, les deux amoureux se réveillent et font face à leur vrai visage : « mais qui es-tu ?! » se lancent-ils, horrifiés, avant de s’enfuir et de rompre leur relation.

Je l’ai regardée, elle m’a regardée…

L’un des grands paradoxes de l’existence est que la conscience de soi engendre l’angoisse. En éliminant la conscience de soi, la fusion supprime radicalement l’angoisse. L’être qui tombe amoureux, et entre dans cet état bienheureux de fusion, ne se penche pas sur lui-même, puisque le moi solitaire qui interroge (et son angoisse de l’isolement) se fond alors dans le nous. On se protège ainsi de l’angoisse, mais en se perdant soi-même.

Irvin YALOM, Le Bourreau de l’amour

Les auteurs de Bref ont pointé ici un élément essentiel de la rencontre amoureuse : la manière dont nous nous illusionnons afin de pouvoir tomber amoureux(se) de l’autre. Sans cela, la rencontre, le coup de foudre, ne serait peut-être pas possible. Chaque tatouage dans cette scène représente une projection que nous déposons sur l’autre de manière à pouvoir entrer avec lui, avec elle, dans cette merveilleuse danse fusionnelle de l’état amoureux.

Et ensuite, me demanderez-vous ? Lorsque les illusions tombent, un avenir à deux est-il possible ? Oui, bien sûr, à condition de pouvoir reconnaître l’autre et l’accepter tel qu’il/elle est. A condition d’être en capacité d’envisager que je pourrai être aimé d’elle ou de lui si je tombe le masque, si je perds mes tatouages.

Et puis, même si la perte de nos illusions est toujours douloureuse, n’oublions pas que lorsque la situation le demande, nous avons également une formidable capacité à nous ré-illusionner !

Quant à Bref, saison 2, même si la série supporte assez mal le passage au format long, c’est un bon divertissement, ne serait-ce que pour voir Alexandre Astier en psy alcoolique, qui opère de la psychothérapie sauvage à heure tardive dans le bar où le héros le rencontre.

Bon printemps à toutes et tous, il paraît que c’est la saison des amours…

Pour aller plus loin :

  • Irvin Yalom, dans Le Bourreau de l’amour, nous explique pourquoi il n’aime pas travailler avec les patients amoureux. Il s’estime être un bourreau de l’amour, parce que le travail en thérapie occasionne nécessairement la perte, ici la perte des illusions.
  • En plus de Disney + où l’on trouve les deux saisons, l’intégrale de Bref, saison 1 est disponible gratuitement sur Youtube. L’occasion pour vous d’aller jeter un œil ou une oreille sur une méthode de narration unique, au cas où vous auriez échappé à la mode en 2011.

 

Image du bandeau : Logo Bref, My Box Productions / Canal+ / Reproduction : Kilyann Le Hen, Public domain, via Wikimedia Commons

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)
Directeur du CIFPr