Parmi mes activités, j’ai la chance d’intervenir depuis une dizaine d’années maintenant dans le domaine de l’insertion professionnelle. Prestataire pour des collectivités locales et territoriales, j’y accompagne des demandeurs d’emploi dans le cadre de coachings individuels.
En collaboration avec les conseillers en insertion, j’y ai également participé à de nombreux ateliers en groupe, notamment autour des fameuses TRE (techniques de recherche d’emploi). Ces expériences m’ont fait prendre conscience qu’il existe une importante mythologie autour de l’entretien de recrutement. Et je m’apprête donc à ajouter une goutte d’eau dans l’océan d’articles qui circulent sur le net à ce sujet.
L’idée que je propose de développer ici est la suivante : l’entretien d’embauche est une scène de théâtre d’improvisation, dont il faut avoir intégré les règles, tout en étant parvenu à les dépasser si l’on veut s’en tirer par le haut. Facile à dire, moins à faire, surtout si on tombe dans le piège consistant à envisager l’entretien comme un examen. Lors d’un examen il y a une note à atteindre pour réussir, généralement la moyenne. En revanche, dans un entretien, comme dans un concours, il ne s’agit pas de prouver aux personnes face à vous que vous connaissez les réponses aux questions, mais de faire germer en eux l’idée qu’ils doivent absolument vous prendre, vous et personne d’autre. Je tempérerai cependant cette position plus bas.
Voici donc quelques considérations alternatives sur l’entretien de recrutement et ses mythes, ainsi que sur les angoisses qu’il soulève le plus souvent chez les candidats que j’ai pu rencontrer.
Les 30 premières secondes
Commençons par le commencement. Lors d’un entretien de recrutement, c’est connu, tout se joue dans les 30 premières secondes. On nous dit que des études l’ont démontré, lesquelles, personne ne le sait vraiment, mais chacun répète cette litanie devenue vérité. C’est donc vrai… sauf quand ça ne l’est pas ! (Clin d’œil en passant à ceux qui m’ont formé au coaching professionnel et qui adoraient cette formule.) Et de toute façon, comment le savoir ? Bientôt des entretiens façon The voice, si le recruteur ne s’est pas retourné au bout de 30 secondes vous pouvez retourner chez vous. Chacun y gagnera du temps et de l’énergie.
Ou alors, nous pourrions envisager les choses sur des bases différentes et considérer qu’il y a encore une certaine profondeur, une tolérance à l’ambigüité dans les relations humaines, et qu’un recruteur à qui vous n’avez pas fait bonne impression de prime abord pourrait – attention, c’est subversif – changer d’avis ! Autrement dit, il est évident qu’une bonne première impression est importante, qu’il est plutôt bienvenu de ne pas oublier de dire bonjour en entrant dans le bureau de la recruteuse. Mais faire une montagne de ces trente secondes revient à se mettre une pression qui risque de vous rendre raide comme un cierge. Et quand bien même oublieriez-vous de dire bonjour en entrant, si vous êtes capable de vous en rendre compte sans que cela ne vous démonte, si on peut vous le faire remarquer sans que cela ne vous désarçonne, alors ce peut être l’occasion d’en plaisanter avec la recruteuse qui décidera peut-être finalement d’embaucher cette personne capable de rire de ses bévues, surtout lorsque ces bévues n’ont aucune conséquence.
La question piège
J’ai souvent entendu les candidats évoquer en atelier le fait qu’ils redoutaient les questions-pièges. Je ne suis jamais parvenu à savoir de quelles questions parlaient-ils exactement, j’ai néanmoins compris qu’une question-piège signifie une question qui déstabilise. Mais à ce compte-là, n’importe quelle question peut être piégeuse, même sans faire preuve d’aucune malice. Et dans ce cas, je pourrais dire qu’en tant que psychopraticien, j’exerce un métier dont la question piège est l’une des fondations. Si un psy ne posait à ses patients aucune question qui soit de nature à les déstabiliser, à quoi cela rimerait-il ? Bien sûr, il convient à nouveau de faire la différence entre déstabiliser tel que je l’utilise ici, c’est-à-dire permettre à l’autre de bouger face à soi, bouger émotionnellement en particulier ; et désarçonner d’autre part, c’est-à-dire littéralement jeter l’autre au sol. Or, ni le psy, ni le recruteur n’ont d’intérêt à tenter volontairement de désarçonner l’autre.
Il est évident cependant qu’en tant que recruteur, j’aurais tendance à poser des questions déstabilisantes pour évaluer la stabilité émotionnelle du/de la candidat(e). Ce qui m’amène à penser qu’en tant que candidat(e), il est inutile de s’entraîner à cacher son émotivité, cela ne marche pas. On peut en revanche travailler sur soi pour se construire ou renforcer une stabilité émotionnelle qui permettra non pas de dissimuler un malaise envahissant face aux questions du recruteur, mais de l’éviter. Ce genre d’article sur les questions piège, même s’il est plutôt drôle et agréable à lire, est donc tout à fait inutile, puisque les conseils qui y sont prodigués ne peuvent être mis en œuvre avec profit que par ceux et celles qui n’en ont pas besoin.
Citez trois qualités et trois défauts
Les candidats se trouvent souvent ennuyés face à cette question et ses variantes. Si je me vante trop, ne vais-je pas passer pour un narcissique ? Que puis-je énoncer comme défaut sans me savonner la planche ? Je vous arrête tout de suite : inutile de vous prendre la tête, tout ça n’est qu’une mascarade. Pourquoi ? Parce que je vous mets au défi de trouver une qualité qui ne soit également un défaut, et réciproquement. Vous êtes méticuleux(se) ? Fort bien… pour un cabinet d’expert-comptable. Mais pas dans un métier où vous créativité est plus importante que votre capacité à éviter les erreurs et ou méticuleux rime avec maniaque. Vous êtes ponctuel(le) ? Ok. En occident, c’est généralement bien vu. Mais qu’en pensera le recruteur de cette agence de pub qui vous reçoit avec trois quart d’heure de retard et qui semble n’y accorder aucune importance particulière ? Peut-être même y verra-t-il une remontrance personnelle ; peut-être vous jugera-t-il trop rigide.
Vous êtes empathique ? Super, mais est-ce que vous êtes capable de penser à vous ?
Est-ce que vous commencez à me suivre ?
Au lieu de qualifier cela comme qualité ou défaut, faisons une expérience et nommons-les désormais trait de caractère. Et dites-vous bien que les traits de caractère que vous énoncez en entretien seront reçus et connotés positivement ou négativement en fonction de la personne ou des personnes que vous aurez face à vous. Les recruteurs sont comme tout le monde, ils choisissent d’abord quelqu’un qui leur ressemble, ou en tout cas quelqu’un qu’ils estiment compatibles avec eux.
Les trous dans le CV
J’en arrive ici à un mythe tenace, celui du trou dans le CV. Un trou, dans le langage du recrutement, cela désigne une période floue ou vide dans le CV d’un(e) candidat(e). L’exemple le plus courant est celui du CV d’une mère de famille qui s’est arrêtée professionnellement pendant plusieurs années pour élever ses enfants. Mais il y a aussi les années sabbatiques, de chômage, ou les périodes mises à profit pour voyager par exemple.Vous me direz, si vous avez un peu de bon sens : et alors, est-ce un problème que de posséder un tel trou dans son CV ? Je ne le crois pas. Mais ici, nous nous heurtons à une résistance irrationnelle partagée par la plus grande partie du monde du recrutement. Ces trous auraient en fait une importance énorme, comme si travailler s’oubliait lorsqu’on ne pratique pas assez régulièrement. Pourtant, à l’instar du vélo, travailler ne s’oublie pas. Et qui plus est, une période de vie dirigée vers un autre objectif que celui de la production et passée dans un environnement non professionnel est nécessairement bénéfique à l’être humain. Élever un enfant par exemple, fait émerger mille compétences, comme l’avaient justement compris les universitaires de Paris 8 lorsqu’ils accordèrent une équivalence BAC aux femmes ayant élevé un enfant pendant au moins 3 ans ; voyager permet de s’ouvrir à l’autre avec une puissance incomparable à ce qui peut être vécu dans son pays d’origine ; ne pas travailler durant un temps permet de s’ouvrir à son intériorité et de prendre le temps d’aller à la rencontre de soi-même.
Bien sûr, ces propositions ne sont pas en phase avec notre société malade de la gestion, où inactivité signifie inutilité. Il faudra donc peut-être lutter pour défendre l’idée qu’un trou peut être vu comme une bosse, et que l’élément d’un CV qui apparaît d’abord en creux pourrait être considéré au contraire en plein.
Il faut, il faut… il faut surtout arrêter de se conformer, et entrer en relation
Il suffit de faire un tour chez un libraire pour apercevoir la marée de livres qui traitent de l’entretien de recrutement. Les lire prendrait une vie et suivre leurs conseils ne mènerait à rien, puisque la plupart s’avèreront en contradiction. On y trouve cependant des conseils de bon sens, même s’ils dépendent une nouvelle fois de la société et de l’époque dans laquelle on s’inscrit. Exemple : ne pas mettre les coudes sur la table, ne pas se curer le nez durant entretien, ou alors discrètement, ne pas venir en pyjama, sauf pour être essayeur de matelas. Ces conseils-là peuvent être suivis sans trop d’hésitation. Pour le reste, il n’y a malheureusement aucune autre recette que celle qui consistera à accepter d’entrer en relation avec le/la/les recruteur(se(s)), avec toute l’angoisse et l’incertitude que cela procure. Finalement, un entretien n’est jamais autre chose que ça : deux ou plusieurs personnes qui entrent en relation en vue d’évaluer si l’hypothèse de travailler ensemble présente un intérêt. Dès lors, il peut tout arriver, ou presque.
Et surtout, avez-vous envie d’être pris ?
C’est ce que m’a souvent répété mon père, qui a eu la chance de démarrer dans sa vie professionnelle à une époque où le travail ne manquait pas : lors d’un entretien, deux personnes se rencontrent pour savoir si elles souhaitent travailler ensemble. Conservez à l’esprit que vous êtes l’une de ces deux personnes. Vous devrez donc vous poser ces question au premier chef : ai-je envie de ce poste ? Cette entreprise m’inspire-t-elle confiance ? Est-ce que je vais me sentir bien dans ce job ? Est-ce que je veux ce boulot ? Ceux qui oublient ou refusent de se poser ces questions entameront l’entretien dans une relation dissymétrique où ils se présenteront en demandeur, en quêteur d’emploi, oubliant qu’ils méritent également d’être désirés par les recruteurs et qu’ils ont le pouvoir eux aussi de refuser le poste pour lequel s’est organisée cette rencontre.
On me dira qu’il était plus facile de se positionner ainsi en 1970 qu’aujourd’hui et j’en conviens. Mais il est plus important encore de le faire aujourd’hui, car la rareté du travail et la position dominante exercée par les recruteurs offre un terreau fertile pour toutes les situations d’abus et de harcèlement. En effet, l’hypothèse que je fais de mon expérience dans l’accompagnement des personnes en recherche d’emploi, c’est que nombre de situations nauséabondes auraient sans doute pu être flairées à leur parfum purulent dès l’entretien, si toutefois la personne ne s’était pas présentée comme prête à tout pour obtenir un travail.
Celui qui est prêt à tout donner rencontre, tôt ou tard, un autre, prêt à tout lui prendre.
Pour aller plus loin :
- Comment se faire des amis de Dale Carnegie, best seller historique du développement personnel sorti en 1936, se lit comme un roman et donne une vision enthousiaste du fonctionnement des rapports humains. Idéal pour envisager un entretien.
- La mise en scène de la vie quotidienne d’Erwing Goffman, l’un des chefs de file de l’interactionnisme américain, autre classique, mais nettement plus complexe, nous permet d’envisager que l’entretien de recrutement aussi est une mise en scène.
- S’il est de bon ton d’évoquer la P.N.L. lorsqu’on avance sur le terrain de l’influence et du « convaincre l’autre », alors autant le faire avec l’un de ses ouvrages fondateurs : Influencer avec intégrité de Genie Laborde.
- Beaucoup plus léger, et très drôle, des bédés sur le recrutement dont sont extraites les quelques bulles de cet article disponibles sur le site RMS news.
- Enfin, pour le plaisir, une petite recherche google qui vous donnera une idée de l’étendue du matériel disponible en lien avec l’entretien de recrutement. Vous me ferez un résumé en 20 lignes.
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