le trauma soigné à la sauce intégrative

Le Corps n’oublie rien est un ouvrage de Bessel van der Kolk, psychiatre américain ayant passé une bonne partie de sa vie et de sa carrière à étudier le syndrome de stress post-traumatique. Fondateur du trauma center de Boston, il a conduit de nombreuses études scientifiques d’une valeur essentielle pour notre compréhension des effets du trauma sur la personnalité. Son livre, Le Corps n’oublie rien, est une source d’inspiration pour les thérapeutes, en particulier s’ils sont sensibles comme moi à l’intégrativité et à la multiréférentialité. En effet, Bessel van der Kolk y fait feu de tout bois, décrivant des thérapies menées auprès de personnes traumatisées, à qui lui et ses équipes ont proposé des expériences aussi variées que des ateliers d’écriture, de danse, de dessin ou d’expression corporelle.

Psychothérapie et trauma

En psychothérapie, comme ailleurs, certains sujets ou thèmes apparaissent à la mode, souvent parce qu’ils accompagnent le mouvement de la clinique, le mouvement de ce qu’apportent les patients dans les cabinets des psys, donc le mouvement de la société. Depuis quelques années, c’est probablement la clinique du trauma qui apparaît comme une des réflexions les plus fertiles et novatrices. Non pas que cette clinique ait proprement inventé une forme de psychothérapie. Freud s’y intéressait déjà, notamment au travers de la névrose de guerre ; Ferenczi également, mais d’un autre point de vue, ce qui avait occasionné l’un des plus célèbres conflits de l’histoire de la psychanalyse. Ensuite, Balint et d’autres reprirent le flambeau, bref, il n’y a là rien de révolutionnaire.

Ce qui l’est davantage, c’est le travail épistémologique que les recherches sur le trauma induisent, en contraignant des champs apparemment contraires à opérer un salutaire rapprochement.

Neurosciences et approche humaniste, une collaboration nécessaire

Depuis quelques décennies, les neurosciences ont envahi le champ de la thérapie, s’alliant à la médecine pour parvenir à imposer un modèle du psychisme mécanique et efficient, mais qui semble parfois dénué d’humanité. Nous vivons une époque où les psychothérapies humanistes, relationnelles, impliquant le psy en tant qu’être humain pourvu de sentiments et de libre-arbitre, ne sont pas en vogue, que ce soit sur le plan politique ou universitaire. Pourtant, nos cabinets sont pleins, signe de notre présence nécessaire dans le champ psychothérapique ; le marché échappe toujours à la contrainte.

En parallèle, quelques signes discrets indiquent que ce schisme pourrait voir ses lignes bouger dans un avenir proche. Par exemple, la prise en compte de la douleur dans le système hospitalier est très récente dans l’histoire et paraît progresser de manière significative. Autre exemple, le fait que des scientifiques étudiant l’hypersensibilité se réfèrent au Moi-peau de Didier Anzieu, permet d’envisager des perspectives intégratives nouvelles. Bien sûr, nous sommes très loin encore de bousculer le monde du psychisme envisagé par le prisme pharmacologique, comme le dénonce Bessel van der Kolk, mais on ne peut pas avancer en ne regardant que le verre au trois quarts vide.

Intégrativité à l’américaine

Le Corps n’oublie rien balaie une quantité de sujets, d’approches thérapeutiques, d’expériences et d’études scientifiques qui force l’admiration.

Un ouvrage de cette ambition, publié en France, aurait certainement comporté un chapitre d’une centaine de pages, décrivant et justifiant l’approche épistémologique envisagée. L’auteur aurait été contraint à cet exercice pour affirmer le sérieux de sa démarche, au risque de tomber dans le rayon développement personnel et de n’être pas considéré par la profession. Chez nous, il est rare, en effet, de trouver un livre écrit par un médecin, van der Kolk est psychiatre, rappelons-le, qui explore une telle palette.

On y apprend la façon dont l’auteur s’est battu – en vain – pour imposer le traumatisme environnemental dans le DSM, et les hypothèses qu’il avance pour justifier cet échec. Car si le trauma est causé par l’environnement, il pourrait également être soigné par l’environnement, et non plus uniquement par des médicaments psychoactifs. On y découvre également des expériences thérapeutiques originales, comme celle qu’il relate d’une population de patients à laquelle on propose de pratiquer des exercices physiques chaque jour durant une période, puis de relater par écrit leurs sensations et leur évolution. Quelques mois après l’étude, on s’apercevra que tous se sentent mieux, mais que seuls ceux qui ont fait le travail d’écriture proposé présentent un véritable mieux-être. Bessel van der Kolk illustre ainsi à plusieurs reprises trois hypothèses qui me sont chères :

  1. Le travail psychothérapique strictement verbal comporte une limite indépassable, notamment parce que les mots n’arrivent finalement qu’assez tard dans la vie ;
  2. Le travail psychocorporel permet d’aller au-delà de cette limite, parce que toutes nos expériences sont profondément inscrites dans notre corps ;
  3. Si les courants et les praticiens psychocorporels négligent l’intégration de l’expérience par la parole et la symbolisation, leur démarche risque d’échouer de la même manière que la démarche strictement verbale, en fournissant aux patients un étayage qui ne comporte qu’une pièce sur deux.

Une lecture vivifiante

Le Corps n’oublie rien est un livre original et essentiel par la qualité et l’exigence du traitement des thèmes abordés, tant que pour la pertinence du propos. Pour le thérapeute que je suis, c’est un livre qui fait du bien, qui donne du sens et renforce certaines hypothèses ou intuitions, qui démontre surtout l’impérieuse nécessité du travail avec le corps. Un bouquin à mettre au-dessus de la pile, à côté du fauteuil devant la cheminée, pour les soirées d’hiver, ou près du transat sur la terrasse, c’est au choix.

 

Pour aller plus loin :

 

Image du bandeau : KrisPixabay

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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)
Directeur du Centre Interdisciplinaire de Formation à la Psychothérapie relationnelle