Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire.
C. G. JUNG
Devenez la meilleure version de vous-même ! Le slogan est tellement épuré que Blanche Gardin en a déjà fait une série pour Canal+ en 2021. C’est dire si ce poncif a d’ores et déjà envahi l’espace médiatique. On le lit, le voit, l’entend partout dans les médias ; à en croire les apôtres de cette nouvelle religion, nous sommes toutes et tous engagés sur la course effrénée qui nous mènera – si nous suivons leur nouvel évangile – à la félicité suprême : devenir ce qu’il y a de meilleur en nous et remiser définitivement le reste.
Lassitude
Comme beaucoup de psys, je suis fatigué par le voisinage envahissant du développement personnel et du bien-être, dans leur prétention à résoudre tous les problèmes de l’humanité (riche et occidentale). Fatigué d’entendre et de lire des recettes aussi prétentieuses qu’inefficaces, de croiser des praticiens tout puissants qui prétendent résoudre tous les problèmes en quelques séances, à la manière du premier marabout venu. Fatigué de ramasser des patients à la cuiller parce qu’un pseudo-thérapeute peu et mal formé les ont amenés à déterrer des cadavres, sans être capable de les accompagner ensuite à traverser l’angoisse.
Conviction masquée
En dehors du fait que postuler une meilleure version de nous-mêmes signifie que la version actuelle n’est pas terrible, ce qui est déjà très discutable sur le plan éthique, le paradigme du développement personnel et du bien être sous-tend une épistémologie mécaniciste assez évidente. On pourrait se mettre à jour, installer des DLC et des nouvelles applications ; tout ça sans que l’ensemble de notre être n’en soit plus troublé que ça. Plus pernicieux, cette conception de l’homme avance masquée, sous couvert d’une conviction holistique de surface. Mais ne nous y trompons pas. Ici, ce que je mange va résoudre mes problèmes, là c’est la façon dont je respire ou le mode de vie que j’adopte ; on se trouve bel et bien dans le morcellement de l’être et non dans sa globalité.
On retrouve ici le paradigme dominant dans les sciences humaines depuis bientôt deux siècles, dont la médecine occidentale a longtemps été caractéristique : on bricole un organe ici, une jambe, un bras ; les médecins sont spécialistes dans leurs domaines et chaque domaine est étanche aux autres. En l’occurrence, des signes discrets, mais tangibles tendent à montrer que la médecine classique évolue vers plus de prise en charge globale et plus de relation. J’ai par exemple été étonné, lors d’un examen de santé nécessitant une hospitalisation en ambulatoire cette année, de constater qu’on m’a demandé à plusieurs reprises comment je me sentais. On m’a également expliqué consciencieusement ce qui allait m’être fait et comment allait se dérouler le processus. À aucun moment, je n’ai eu l’impression d’être un véhicule en train de passer son contrôle technique. Alors, ça n’a peut-être l’air de rien, mais c’est en tout cas assez nouveau.
Inspire le positif, expire le négatif
Je voulais montrer qu’ici se trouve un homme qui a tous les signes de la paranoïa et de la mégalomanie, de l’exhibitionnisme et de l’inadaptation sociale et qui peut cependant être fort bien contrôlé et normal, et même plus manifestement capable de création en extériorisant complètement ses symptômes qu’en s’efforçant de les contraindre et de les résoudre… Le seul moyen de surmonter le syndrome de Dieu est de l’extérioriser complètement.
Jacob-Levy MORENO (à propos de lui-même)**
Mais surtout, le développement personnel exclut presque systématiquement le négatif, la part sombre, l’ombre, la pulsion de mort ; peu importe comment on l’appelle selon si l’on est freudien, jungien, adlerien ou autre. En fait, il ne l’exclut pas totalement, il le postule comme quelque chose d’encombrant, dont on pourrait se débarrasser, dans une vision extrêmement manichéenne du monde qui rappelle les blockbusters américains et les films de Disney. Le mal est en nous, mais grâce au thérapeute, ici en posture de gourou ou de marabout, nous allons apprendre à enlever cette partie honteuse et peu reluisante, pour être enfin en accord avec nous-mêmes, vierges de toute souillure.
Reconnaître son ombre
La plongée dans la nuit, c’est l’exploration des parties de soi clivées, désavouées, inconnues, indésirables, rejetées et bannies dans les divers mondes souterrains de la conscience… Le but de ce périple est de se réconcilier avec soi-même. Ce retour au bercail peut être étonnant pénible, voire brutal. Avant de l’entamer, on doit d’abord convenir de ne rien exiler.
Stephen Cope*
Or, le psychisme humain est complexe. L’être humain est capable du meilleur comme du pire, les exemples sont assez nombreux dans l’histoire pour ne pas s’appesantir là-dessus. Des séries TV, qui se sont intéressées aux tueurs, comme Mindhunter, ou plus récemment Monster, nous permettent d’appréhender ce qui peut conduire des individus à commettre les pires atrocités. De Sang froid (Cold blood), le roman de Truman Capote, ou bien sûr Eichmann à Jerusalem d’Hannah Arendt, nous proposent des portes d’entrée nettement plus fines encore vers les profondeurs abyssales du psychisme. Ajoutons-y Lolita, de Vladimir Nabokov, somptueux guide touristique de la perversité, et j’arrête là, ce billet n’a pas de vocation bibliographique.
Mon propos est plus lapidaire. La haine, la violence, la destruction, la manipulation et la dépression (j’en oublie) font partie de chacun de nous, tout comme l’amour, le désir, la créativité, la joie, le lien. Cela ne signifie évidemment pas que nous serions tous et toutes des tueurs et des violeurs en puissance, il y a heureusement des degrés dans notre capacité à contenir notre part sombre. En revanche, nous ne pouvons pas refuser impunément de nous confronter au miroir du pire, sans courir le risque qu’il finisse un jour par nous recouvrir et nous ensevelir.
Et il se trouve qu’aujourd’hui, l’illusion d’une âme pure et immaculée est propagée à outrance, notamment dans la sphère du bien être, ce qui amène les gens à la même conclusion systématique : le mal, le méchant, pour ne pas dire le pervers narcissique, c’est toujours l’autre.
On retrouve ici la projection de nos parties inavouables sur les autres, mécanisme de défense massif d’une société qui se défend contre l’anéantissement et la folie ; c’est par exemple le propos de Charles Melman Jean-Pierre Lebrun dans cet intéressant livre d’entretien, l’Homme sans gravité.
Psychothérapie ou développement personnel
Alors, peut-on faire l’économie de la douleur, de la culpabilité et de la honte lorsqu’on décide de travailler sur soi ; peut-on réellement expulser ce qu’on pourrait appeler le mal ? Je ne crois pas. Au contraire, le travail consiste à intégrer en nous ce qu’on souhaiterait a priori chasser, à pouvoir dire et entendre que nous sommes toutes et tous, parfois, violents ou manipulateurs ; que nous sommes certes de belles personnes, mais que cette belle personne comporte aussi des parts sombres qui ne la disqualifient pas, au contraire.
Ce pourrait être ça, finalement, la différence entre le développement personnel et la psychothérapie ; là où le premier nous invite à viser la meilleure partie de nous-mêmes, la seconde nous convoque à rencontrer la pire.
Pour aller plus loin :
- Etienne Guéreau est pianiste, auteur-compositeur ; il anime la chaîne Youtube Piano Jazz concept, où il propose des analyses musicales aussi variées que les thèmes de la filmographie de James Bond ou les génériques de dessins animés. Il insiste particulièrement sur l’affadissement de la musique populaire moderne, où la richesse et les imperfections disparaissent au profit d’une fadeur organisée : c’est parfait, mais vide, ce qui n’est pas sans rappeler le sujet de ce billet.
- Et puis surtout, NON, tout le monde n’a pas besoin d’une psychothérapie.
* directeur d’un institut de recherche sur le yoga aux USA, cité par Bessel van der Kolk in Le Corps n’oublie rien, p.411
** in Psychothérapies de groupe et psychodrame, 1987, p.124 MORENO est considéré notamment comme l’inventeur du psychodrame.
Image du bandeau : Michell Trommler – Pixabay
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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)
Directeur du CIFPR
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