Je n’est pas ce qu’il prétend et l’inconscient s’entête à le dire. L’inconscient est le « Si ! » du sujet qui dit : « Non ».
Jacqueline BARUS-MICHEL[1]
Voilà un beau sujet que le paradoxe ! Nous passons notre vie à tenter de résoudre ceux que notre existence même engendre : vie et mort, raison et folie, réalité et imaginaire, guerre et paix… Le monde nous plonge dans des contradictions insolubles, et bien sûr, ça nous angoisse.
La mauvaise presse du paradoxe
Longtemps présenté comme un puissant vecteur de la folie, le paradoxe trouve sous la plume de Jacqueline Barus-Michel un sens différent. Dans son ouvrage L’énergie du paradoxe, paru en 2013, elle nous invite à faire face au paradoxe plutôt qu’à tenter de le résoudre (ce qui rend effectivement fou).
Cela commence de manière tout à fait classique, avec l’évocation du mythe de Sisyphe, l’histoire de la mère juive et des deux cravates, Épiménide le Crétois et sa fameuse affirmation contradictoire : « Tous les Crétois sont des menteurs« … Car si Épiménide a raison, alors il a également tort, de quoi perdre la tête en effet. Mais puisque la vie est faite de paradoxes et de contradictions indépassables, pourquoi ne pas les accepter ? Voilà le chemin sur lequel Jacqueline Barus-Michel nous invite avec elle.
Double bind, le paradoxe qui rend fou
A Palo Alto, en Californie, l’équipe de Gregory Bateson, Paul Watzlawick et les autres, ont mis au jour dans les années 60-70 la manière dont la folie circule dans les système familiaux pathogènes sous la forme de paradoxes. Ces paradoxes prennent la forme de situations de communication insolubles, qui plongent le sujet dans une alternative illusoire : comprendre pour ne pas devenir fou, ou devenir fou pour ne pas avoir à comprendre. Les chercheurs en thérapie systémique familiale avaient nommé cela le double bind, concept largement repris depuis dans l’ensemble du spectre des sciences humaines, souvent de façon abusive.
Pour qu’il y ait double bind, ou double contrainte en français, on doit retrouver les trois éléments suivants :
- Un premier énoncé communicationnel ;
- Un second énoncé, verbal ou non, contredisant le premier ;
- Une impossibilité pour le sujet de dénoncer la contradiction engendrée.
L’exemple d’Épiménide le Crétois, que j’évoquais plus haut, n’est pas un double bind. Il n’est pas dit en effet dans l’histoire qu’on ne puisse lui rétorquer que son énoncé comporte un paradoxe. En revanche, la parabole célèbre de la mère et des deux cravates en est un. On peut la raconter de mille façons :
Une mère offre deux cravates à son fils, une rose et une bleue. Après avoir réfléchi à celle qu’il préfère porter, il opte pour la rose. En le voyant descendre de sa chambre, sa mère lui dit d’un air contrit : « ah, tu n’aimes pas la bleue ». Le fils, sidéré, sachant qu’en arborant la cravate bleue, se verrait reprocher son manque de goût pour la rose, décide alors de porter les deux cravates. Mais sa mère secoue alors la tête, désolée : « tu feras décidément tout pour me rendre folle ».
Le piège est refermé, on ne peut pas s’en sortir.
Mais revenons à l’énergie du paradoxe.
Le paradoxe comme vecteur de fertilité et de créativité
Sachant, que notre expérience ne peut pas être linéaire, mais éternellement contradictoire, ne devons-nous pas user de notre potentiel de réflexion, de notre réserve de désir, pour dire et faire quand même comme si le sublime était possible ? Notre histoire n’est-elle pas celle d’idéaux jamais atteints mais toujours tentés, une histoire sans futur, mais qui se raconte et les récits, sous toutes les formes possibles, en font notre œuvre.
Jacqueline BARUS-MICHEL[2]
Face à une situation contradictoire, voire paradoxale, notre première intention consiste le plus souvent à rechercher un moyen de résolution. L’ensemble du système éducatif et la cognition en général sont basés sur ce mode ; nous sommes conditionnés pour résoudre les problèmes qui se présentent à nous.
Les mathématiciens, les chercheurs, les joueurs d’échecs, les enquêteurs (qui n’a pas été fasciné par les capacités de déduction de Sherlock Holmes, Hercule Poirot, et les autres ?) ont poussé cet art à son sommet, suscitant notre admiration. A travers eux, se révèle l’extraordinaire capacité de l’être humain à contrôler son environnement, ce qui l’aide considérablement à diminuer l’angoisse de sa propre existence.
Seulement, le paradoxe échappe à la logique et ne peut donc être résolu comme une équation. L’angoisse remonte. Et là où nous pourrions contempler le paradoxe, l’intégrer, vivre avec, cette impossibilité peut au contraire renforcer notre besoin de contrôle. Nous allons alors nous perdre dans la quête d’une impossible solution à trouver, qui soulagerait enfin notre conscience. De façon tout à fait intuitive, les pervers et manipulateurs de tout poil connaissent très bien ce mécanisme typique de la névrose et jouent ainsi à soumettre des équations insolubles à celui qui deviendra fou en cherchant à les résoudre. « Je voudrais seulement comprendre », disent les personnes qui ont subi de l’emprise, de l’abus, sans se rendre compte qu’elles nourrissent ainsi le moteur du paradoxe. Chaque tentative pour comprendre est un mouvement qui les empêtre un peu plus dans la toile de la perversion.
Accompagner le mouvement du paradoxe
A la place, l’auteure nous invite à renoncer. Renoncer à comprendre, à trouver une vérité qui soulage pour intégrer une réalité plus complexe.
Contempler, sentir, nous appuyer sur la formidable énergie que le paradoxe génère pour inventer, au lieu de tenter de combattre. Et pour commencer, lire ce bouquin qui rafraichit les neurones et dépoussière le mental !
Pour aller plus loin :
- L’énergie du paradoxe, un ouvrage rafraichissant, pas toujours simple, mais qui entrouvre quelque chose dans notre esprit sans même qu’on puisse s’en rendre compte immédiatement.
- L’incontournable ouvrage de référence de l’école de Palo Alto : Une logique de la communication, pour tous ceux qui souhaiteraient faire connaissance avec la fertilité de leur pensée révolutionnaire. A noter également, l’excellente page Wikipédia consacrée à leur concept phare : la double contrainte (double bind)
- Enfin, Othello de Shakespeare demeure l’exemple le plus admirable de la névrose prise au piège de la perversion, à lire et à voir sans modération.
Image du bandeau : 愚木混株 cdd20 – Unsplash
[1]BARUS-MICHEL J. (2013) L’Energie du paradoxe, Paris, Desclée de Brouwer, p.89
[2]Ibid., p.205
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Pascal Aubrit, psychothérapie relationnelle et coaching à Auvers-sur-Oise (95)
Directeur du CIFPr
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